Chers lecteurs,
Après ces quelques jours de pause où j’ai été submergée de travail, me voilà de retour avec une nouvelle rubrique, qui je l’espère saura vous plaire: une histoire de l’alimentation (que vous trouverez dans « Point Culture » du menu déroulant). J’ai découvert la discipline cette année et je me suis passionnée pour les régimes alimentaires des pharaons égyptiens et des Augustes romains, tout comme ceux du petit peuple du Moyen-Age ou des grandes tables de la Renaissance.
Après un petit sondage plutôt positif dans mon entourage j’ai décidé de vous faire partager ces histoires de bouches et anecdotes historiques. Ainsi vous pourrez découvrir comme moi qu’au Haut Moyen-Age, entre 500 et 900 (ces années sombres que les gens méprisent quelque peu), le peuple mangeait bien mieux et bien plus que pendant les prochains siècles…
Mais d’abord, commençons par le début, et attaquons le régime alimentaire de nos lointains ancêtres: Bienvenue à la table de la Préhistoire.
Du paléolithique archaïque au paléolithique moyen
Les difficultés pour reconstituer les repas des hommes préhistoriques demeurent aujourd’hui: si l’historien peut restituer dans le moindre détail le moindre geste de la fabrication d’un outil de pierre il ne peut proposer qu’un schéma fort hypothétique des régimes alimentaires de l’homme préhistorique. C’est à l’aide d’analyses chimiques que nous pouvons étudier les traces laissées par notre alimentation dans les tissus osseux, mais les méthodes sont encore expérimentales et de nombreux facteurs peuvent dénaturer les compositions chimiques des os. Il faut donc passer par l’intermédiaire des vestiges et des raisonnements de l’archéologie, avec ses limites et bien évidemment ses manques.
Dans le cas de l’alimentation vous comprendrez tout de suite le problème: les végétaux, comme toute matière organique, sont détruits dans le sol; et il est pratiquement certain que cette alimentation végétale constituait l’apport calorique essentiel de nos lointains ancêtres.
Les hommes préhistoriques, plus cueilleurs que chasseurs ? Et bien peut-être oui. Si l’homme est bien un omnivore, la place qu’il accorde à la viande à ce moment là ne traduit pas pour autant l’importance nutritionnelle de celle-ci ! Mais trouver des traces d’une alimentation carnée est plus simple que celle d’une alimentation végétale, d’où la place prépondérante de la viande dans les études historiques de la Préhistoire.
Dans les sites laissés par les premiers hominidés (australopithèques et Homos habilis) en Afrique orientale, entre 2,5 et 1,5 millions d’années, des restes plus ou moins abondants d’ossements animaux brisés ont été trouvés; établis auprès des lacs ou des rivières, toujours en plein air, ces sites ont livré des restes d’animaux provenant d’espèces variées (de la tortue à l’éléphant). Les chasses organisées par ces hominidés devaient se faire en groupe, puisque aucune arme de jet longue portée n’avait encore été créée. Impliquant des relations d’entraide et de communication, la chasse est pratiquement à l’origine de l’organisation sociale et familiale: en devenant chasseur l’australopithèque est devenu humain.
Cependant un débat a été ouvert au début des années 80 par L. Binford au sujet de ces ossements: ces derniers n’auraient-ils pas été dérobés à la sauvette sur les carcasses d’animaux abattus par des carnivores ? Les premiers hominidés auraient-ils été de simples voleurs de charognes ? La réponse n’est pas encore tranchée, et même si la tendance chez les chercheurs américains tend à reconnaitre que ce serait les hyènes qui auraient accumulé l’essentiel des carcasses, d’autres pensent que les hominidés étaient suffisamment organisés pour la chasse.
L’analyse des partis de carcasses présentes sur les sites démontre toutefois sans ambiguïté possible qu’elles ne proviennent pas d’un charognage secondaire: se sont les parties les plus riches en viande que l’on retrouve systématiquement. L’hominidé a eu accès a des carcasses fraichement abattues et non aux restes des repas d’autres carnivores.
Mais revenons-en à nos moutons, ou plutôt à nos baies. Car comme je vous le disais l’apport de protéines animales n’était sans doute que le complément d’une alimentation essentiellement fondée sur le végétal: en témoignent l’usure des dentitions des premiers hominidés. L’homo habilis se contentait essentiellement de feuilles, de fruits et de graines, avec quelques proies supplémentaires, comme les tortues ou les zèbres.
Le régime alimentaire se modifie peu quand l’Homo erectus succède à l’Homo habilis vers -1,5 millions d’années. C’est à environ -1 million d’années que l’Homo erectus, en s’implantant dans des régions plus tempérées avec des contrastes saisonniers plus importants, que la viande a acquis un rôle nutritionnel grandissant, sans devenir exclusif. La capacité d’abattre de grands animaux se développe (éléphant, ours, rhinocéros… notamment en les faisant tomber des falaises); mais la lance de Lehringen, retrouvée dans les côtes d’un Elephas Antiquus témoigne d’une chasse active au paléolithique moyen (-200000/-40000).
La domestication du feu ouvrira toute une nouvelle gamme de ressources potentielles comme la consommation de plantes toxiques à l’état cru mais consommables après cuisson. C’est il y a 500000 ans environ que l’usage régulier du feu a profondément modifié l’alimentation: on passe de l’alimentation à la cuisson, puis à la cuisine. Outre un intérêt nutritionnel, l’importance du feu a joué sur le plan social, amenant les hommes à prendre des repas en commun et une division du travail plus organisée.
A la fin du paléolithique moyen apparaissent les premiers indices d’une chasse en masse, concernant des troupeaux entiers. Mais son grand développement aura lieu pendant le paléolithique supérieur, période d’expansion de l’homme moderne sur toute la planète.
La suite au prochain épisode…
Source: Catherine Perlès, Les stratégies alimentaires dans les temps préhistoriques, dans Histoire de l’alimentation.